Ouarda Baziz Cherifi, une plume algérienne à la résonance universelle

Romancière, poétesse et ancienne enseignante, Ouarda Baziz Cherifi s’est fait une place dans le paysage littéraire algérien d’expression française. Originaire de Kabylie, elle commence à écrire dès son jeune âge, mais ce n’est qu’après sa retraite qu’elle publie ses premiers livres : d’abord de la poésie, puis des romans souvent inspirés de faits réels.

Lauréate de prix littéraires en Algérie et à l’étranger, elle est l’auteure de plusieurs ouvrages, dont “Quand pleure le jasmin” et “Comme un coup de massue". Dans cet entretien, elle revient sur son parcours, ses choix de langue, sa vision de la transmission, et ses projets à venir.

Quand avez-vous commencé à écrire, et pourquoi à ce moment-là dans votre vie ?

J'ai commencé à écrire très jeune des poèmes à la hâte, à l'abri des regards de ma famille car c'était un tabou. Je cherchais un moyen de communiquer et j'ai trouvé mes mots.  Plus tard, j'ai écrit en publiant sur les réseaux vers les années 2010. Encouragée par mes amis, j'ai fini par me faire éditer par les éditions Edilivres (Fr) en 2012, 2013 et 2015. Deux recueils de poésie libre et un livre de nouvelles ''Amour de guerre ''. 

Vous étiez professeure d’anglais, mais vous écrivez en français. Pourquoi ce choix ?

Tout le monde me fait cette remarque. Je suis professeur de langue anglaise mais j’écris en Français. Il y a des langues directrices dans ma vie : la langue mère, la langue nationale, mon gagne-pain et mon Havre de liberté. Écrire en français est un choix et en même temps, un cheminement. J'ai lu très jeune (au collège) de grands classiques de la littérature française et donc je me suis imprégnée de celle- ci. J'ai lu Guy Des Cars à mon adolescence et il m'a passionnée à  point où je me suis sentie attirée voire envoûtée par ses écrits. Donc voilà j'ai lu en français. Ma fibre littéraire est française, en l'occurrence ma plume ! 

Votre métier d’enseignante a-t-il influencé vos écrits et vos thèmes ?

Je ne pense pas qu'il y ait un trait d'union ou un déclencheur entre ma profession (l'enseignement) et ma passion. Cependant je faisais beaucoup de leçons de morale pour sensibiliser, motiver mes learners (16, 17 ans) . J'ai aussi fait trois histoires à moralité (ou contes personnels) pour cette tranche d'âge, après ma retraite. 

- Le déclic

- La riche, la pauvre et l'amie. 

- Pour l'amour de l'amitié. 

Pour vous, écrire, c’est aussi transmettre comme on le fait en classe ?

Je fais partie des auteurs qui écrivent pour transmettre surtout des émotions. Ça crée une parfaite fusion entre mon lectorat et moi. Oui, quand on aime un style, on aime la personne et on la suit. J'ai travaillé durant plus de trois décennies dans le partage de la tendresse et du respect. J'écris dans ce sens-là, pour partager et pour ceux qui ont envie d'écrire mais ils n'ont pas de passion ni de don. Écrire c'est transmettre. Sinon le sens unique va tout freiner et chambouler. . 

Ouardia Baziz Cherifi

Vous avez débuté par la poésie, puis vous êtes passée au roman. Qu’est-ce que cela a changé ?

Oui j'ai commencé par la poésie mais je pense que l'écriture des textes (modestement de la prose) peut conduire à de plus grands textes, plus détaillés, plus enrichis, plus ouverts. Un livre, un roman... Mes poèmes sont des petits textes qui racontent des thèmes. Je peux exprimer ces thèmes en poèmes comme en romans. Je ne suis ni poète ni romancière au vrai sens du mot. Je me définis comme une passionnée des mots. Par moment, mon inspiration est courte, d'autres fois elle perdure.  D'où ces deux critères dans mes écrits... 

Votre recueil Mots et Maux évoque la douleur. L’écriture vous aide-t-elle à soulager certaines blessures ?

Je vous signale au passage que mon recueil Mots et maux, édité par les éditions du Net en 2019, a été invité pour participer à la journée du manuscrit (j'étais présente au théâtre Apollo à la République).  Il a des vérités crues et douloureuses. Je trouve que les maux doivent être dits pour être soulagés par des mots. La joie peur se manifester avec des sourires. Par contre, la douleur peut être exprimée par des larmes, des douleurs et surtout des mots. En général mes six recueils de poésie portent tous ma griffe (douleur !) J’écris pour décrire la douleur car l'écrire me libère de mes maux.

Vos romans s’inspirent souvent de faits réels. Quel lien gardez-vous avec l’autobiographie ?

Mes romans sont en effet tous tirés de faits réels, de mon vécu (d'où mes romans autobiographiques Principes et amertumes (2017) et Écorchures (2024) ou du vécu des autres. Je l'écris quand leur vécu me heurte ou me touche car je suis pétrie de sensibilité. Je dirais mieux : je suis malade de la sensibilité ! Je n'ai plus l'âge de la fabulation ou de la fiction. Il y a tellement de sujets à exhiber, à dénoncer, à traiter autour de nous. 

L'écrivaine Ouardia Baziz Cherifi
Comment combinez-vous fiction et réalité dans vos livres ?

Comment je combine réalité et fiction ? Je n'aime pas trop la fiction, comme vous savez car les écrits sont vrais et réels. J'ouvre par contre, de temps en temps, la porte aux rêves. Je me définis comme une rêveuse éternelle, d'ailleurs... 

Aimeriez-vous écrire ou traduire vos textes en amazigh kabyle, votre langue maternelle, pour rendre hommage à votre région natale, la Kabylie ?

Traduire mes histoires en TAMAZIGHT serait fabuleux voire colossalement bon pour moi. C'est dans mes projets. Mes histoires sont algériennes vécues par une kabyle, dans une tribu Kabyle. Logiquement les traduire dans ma langue maternelle c'est revenir aux sources. J'invite des amis ou des gens intéressés à m'aider à le faire. Je serai très très honorée de réaliser ce ''rêve ' pour glorifier ma Kabylie d'amour 

Et pourquoi pas en anglais, la langue que vous avez enseignée, pour un clin d’œil à vos anciens élèves ?

En anglais aussi ! J'ai commencé à le faire avec mes contes. Inchallah bientôt une publication.

Pensez-vous que la littérature peut aider à guérir, individuellement ou collectivement ?

J’ai toujours dit car je le pense fortement que l'écriture est une thérapie individuelle d'abord puis collective. Parler à ses mots soulage et aide à rebondir et à avancer. J'ai écrit ''Comme un coup de massue” en pleine chimiothérapie.  Ça m'a énormément apaisée. Dire les mots, dire mes peines et celles des autres malades m'a réconfortée au point où je n'ai oas pleuré ni intériorisé mon mal. Ure thérapie intense car il s'agit du mental qui dit non à la passivité et à la peur. Tout s'enchaîne positivement car on se sent moins seul avec ses mots ! 

Votre livre Les survivants de l’oubli évoque la mémoire. Est-ce un thème central dans votre œuvre ?

Les survivants de l'oubli (édité  en 2018) est un roman qui parle à la fois de l'histoire (les premiers exilés d'après l'indépendance), de mémoire (car toutes les familles de l'époque avait un voire plusieurs '' imjah'' donc un fait réaliste, d'amour (car il s'agit d'une thématique qui montre l'amour sous toutes ses formes, de pardon (une vertu qui surpasse les plus  grandes colères) et de  l'hommage inconditionnel aux femmes algériennes de l'époque de la guerre( veuves très jeunes elles ont consacré leur  veuvage et leur vie à l'éducation de leurs enfants.

Vous participez souvent à des événements littéraires à travers l'Algérie. Que représentent pour vous ces rencontres avec le public ?

Je suis fan et folle des événements culturels ici et ailleurs vu ma participation régulièrement. Rencontrer le public et mon électorat me rend fière et comblée. Parler de mes ouvrages me passionne. Rencontrer des amis auteurs m’enrichit. Au passage, je remercie tous ceux qui organisent ces festivités pour notre bien, pour le bien de la culture et du savoir car il s'agit du livre et du lecteur. J'ai eu aussi la chance et l'immense joie de participer au Salon du livre de Versailles (2 fois) et à la Jdmf.  Un régal ! 

Selon vous, quelle est la place de la femme dans la littérature algérienne d’aujourd’hui ?

La place de la femme dans le monde livresque ? La femme est indispensable et émérite partout, en sport, en politique, en science, au cinéma, en société. Que de femmes omniscientes qui ont marqué l'histoire et continuent encore aujourd'hui à le faire ! Il y a des autrices de talent et il y a même des prix qui portent le nom de femmes de lettres célèbres dont Assia Djebbar, Yamina Mechakra etc. La gent féminine est en force dans le domaine littéraire et rafle les prix... 

Vous avez reçu des prix littéraires à Paris et à Milan. Que signifient pour vous ces reconnaissances internationales ?

Oui j'ai eu des distinctions en dehors de mon pays. Le prix international de poésie Léopold Sédar SENGHOR (2019) et le prix de la poésie '' Plus jamais soumises ou femmes de demain” (2020). Une fierté incomparable ! Louange à dieu, ma poésie plaît. J'en suis comblée ! 

L'auteure Ouardia Baziz Cherifi

Ont-elles eu un impact sur votre visibilité en Algérie ou ailleurs ?

Bien sûr que oui, l'impact est énorme. Ces distinctions se sont médiatisées et j'en gagne moralement ! J'ai eu aussi un hommage grandiose (la première autrice de la wilaya de Tizi Ouzou, organisé par la direction de la culture, à sa tête madame Nabila Goumeziane en 2019. Ça m'a permis de renaître de mes cendres. J'en pleure encore !  La distinction nous donne la preuve qu'on existe et qu'on est reconnu. Merci mon Dieu ! 

Que souhaitez-vous transmettre dans Comme un coup de massue, votre livre le plus récent ?

Je rectifie quelque chose, cher Monsieur. ''Comme un coup de massue ''n'est pas mon livre le plus récent. Il y a eu deux romans après lui ; Quand pleure le jasmin et Écorchures. La maladie n'est pas une fin en soi. C'est une épreuve et non une punition. C'est un mal pour un bien. Pour mieux se prendre en main. Pour mieux apprécier la vie. 

Et puis la maladie, comme on dit dans mes croyances, ne tue pas. Le glas sonne pour tout le monde, un jour où l'autre, tel que Dieu l'a voulu. Il y a des personnes saines qui partent et des personnes souffrantes qui restent. La rémission est avant tout dans un mental résistant. C'est le message que j'ai voulu véhiculer en écrivant ''comme un coup de massue''. 

Y a-t-il un sujet que vous rêvez encore d’aborder dans un éventuel prochain livre ?

Un sujet que j'aimerai aborder dans un prochain écrit ?  Une autre histoire avec la négligence de la maman de la part de son fils unique. Beaucoup de cas me parviennent par ci, par-là, je risque d'en avoir l'inspiration. Les relations mères et fils se détériorent de plus en plus dans cette société bondée d'enfants ingrats... J'y pense sérieusement !  Mais ce sera après la publication de mon prochain roman ''Les fantômes du passé’’ ; Inchallah en exclusivité au Sila 2025.

Quel conseil donneriez-vous à une jeune femme ou un jeune homme qui veut écrire aujourd’hui en Algérie ?

Un conseil pour les jeunes débutants en Algérie ? Lire beaucoup et demander conseil aux ''vieux'' auteurs. Écrire n'est pas à la portée de tous. Il faut être passionné et modeste. La prétention tue l'auteur qui croit tout savoir. On s'améliore en écrivant. L'appétit vient en mangeant. Écrire aujourd'hui est plus facile car il y a des moyens de se perfectionner et il y a une certaine facilité vu le grand nombre des maisons d'édition. Qu'ils soient ambitieux ! Les auteurs précoces donc jeunes ont une chance inouïe si on les compare à beaucoup d'auteurs - dont moi - qui ont commencé à écrire à un âge avancé (dans mon cas, c'était tabou) 

2 ouvrages de Ouardia Cherifi

Pourriez-vous citer tous vos ouvrages pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, ou pour ceux qui aimeraient lire tout ce que vous avez écrit ?

Pour mes ouvrages, alors j'ai fait six romans (tous tirés de faits réels) :

1. Amour de guerre (essai chez Édilivres)

2.    Principes et amertumes

3.    Les survivants de l'oubli

4.    Tu seras grand, mon fils

5. Comme un coup de massue

6.  Quand pleure le jasmin (2ème édition)

7.     Écorchures 

LES RECUEILS:

8.     Recueils 1 et 2

9.   Mots et maux (Amazon, FNAC, Éditions du Net)

10.          Aux rimes de mon cœur

11.         Le cri des murmures

12.        Telle une rivière de larmes

13.      Contes (signés au SILA 2024 et vendus, à rééditer bientôt)

Veuillez conclure avec un message, un souhait…

Mon dernier mot ? Inchallah la rémission totale pour continuer à écrire car écrire est ma folle passion. Pouvoir rééditer beaucoup de mes romans, aujourd'hui en rupture. Voir beaucoup de festivités partout en Algérie comme c'est le cas en Kabylie. Avoir des invitations de notre tutelle directrice (ministère de la culture) à chaque grand événement célèbré comme les prix, la journée de la femme, la journée de l'artiste et pourquoi pas une large participation aux Salons du livre des pays avoisinants car l'information est très très limite. Je souhaite, en tant que citoyenne du monde, une paix universelle. Que la guerre soit bannie à tout jamais ! 

Propos recueillis par S.Bendali

https://amaz-ling.blogspot.com/2025/07/ouardia-baziz-cherifi-une-plume.html

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