Entretien avec l'écrivain chanteur Kabyle Ali Belhot
Amaz-ling: Vouliez-vous devenir écrivain depuis votre jeune âge ou est-ce le fait du hasard?
Ali Belhot: L'idée de passer à l'écriture dans ma langue n'est pas un fait de hasard mais c'est tout un processus. Dans tout les premiers temps, j'ecrivais mes poèmes, aussi de petits textes traitant de tout ce qui me vient en tête. Mais après l'année 95, comme tous mes collegues enseignants, souffrant d'un manque flagrant de supports fe textes à dispenser à nos élèves, sans attendre que m'est venue l'idée d'écrire tout d'abord quelque chose sans jamais savoir les aboutissants à savoir (nouvelle, roman...) C'est au fur et à mesure que le paysage s'éclaircit devant moi au point de me fixer sur l'écriture d'un roman qui par la suite me sembla insuffisant par rapport au sujet abordé. Ainsi j'ai opté pour une trilogie dont le premier tome est sorti en février 2020.
Amaz-ling:Vous avez d'abord commencé comme chanteur engagé puis romancier. Comment faites-vous la jonction entre la chanson et l'écriture?
Ali Belhot: Pour moi, la jonction entre la chanson et l'écriture est une suite logique, sachant que le ou les thèmes abordés dans l'un comme dans l'autre sont complémentaires. Les deux traitent de tout ce qui a trait à l'identité, à l'histoire, au patrimoine...à la défense et la promotion de la culture Kabyle en particulier et Amazighe d'une manière générale.
Amaz-ling: Contrairement aux chanteurs de votre génération, les thèmes de vos chansons sont franchement à dominante revendicative, entre autres l'identité, la langue. Cela est dû à quoi?
Ali Belhot: Ayant grandit dans un espace familial qui auparavant a enfanté des révolutionnaires à chaque époque, après "l'indépendance", la question identitaire, les libertés confisquées...d'autres ont prit la relève d'où je m'abreuve tout jeune. Je suis de ceux là qui, tard dans la nuit attendaient pour ecouter Radio Tanger...de ceux là qui parlaient discrètement de l'académie berbère, des revues "tafsut, iṭij..." à l'époque où c'était interdit de parler Kabyle en dehors du territoire Kabyle. Aussi, l'époque où on entendait parler de certains chanteurs engagés comme Slimane Azem, Imazighen Imula...et beaucoup d'autres qui font dans l'éveil de conscience.
Amaz-ling: Quand il y a eu l'introduction de la langue amazighe à l'école, vous étiez parmi les enseignants qui y ont pris part. Plus tard, il y eu le retrait. Comment cela s'est-il passé?
Ali Belhot: Tout à fait, comme beaucoup de militants, j'ai répondu sans réfléchir à l'appel du H.C.A après la grève du cartable en 1994. Il est à noter que nous disposions déjà des cours de langue dans le domaine associatif, alors, une aubaine pour donner un nouveau souffle à l'enseignement de Tamaziɣt.
Le parcours enclenché diverge d'un cas à un autre, pour certains il s'agit juste d'un enseignement à dispenser, pour d'autres, c'est plutôt l'acte militant à perpétuer dans les institutions de l'État. C'est dans cette derniere que je me suis inscrit, ce qui m'a résulté d'énormes problèmes avec l'administration que j'avais rendu public dans les journaux.
En plus de mon engagement dans le mouvement citoyen de 2001 qui m'a couté cher, à savoir emprisonnement, controle judiciaire...qui après ça a résulté une pression indescriptible en 2005, faute de solidarité, n'ayant put résister aux intimidations administratives, j'ai claqué la porte pour m'éloigner carrément de la kabylie entre 2005 et 2010.
Amaz-ling: Qu'est ce qui vous a incité ou encouragé à accomplir 3 fonctions aussi importantes: l'enseignement, la chanson, l'écriture?
Ali Belhot: C'est toujours relatif à l'espace où j'avais grandi, l'une complète l'autre. Et quand on est militant convaincu, on ne peut rester indifférent là où il fallait s'impliquer, surtout quand il s'agit des domaines où on a déjà des acquis, ou encore des convictions profondes, de la détermination...c'est aussi un devoir d'emboiter le pas à nos aînés, un hommage à tous ceux et toutes celles qui ont sacrifié leurs vies pour que vive notre triptyque langue, culture et civilisation Amazighe.
Amaz-ling: Pouvez-vous offrir une bribe du synopsis de votre roman "ajeǧǧig n ugudu" ou "fleur de dépotoir" aux gens qui ne l'ont pas encore lu?
Ali Belhot: "Ağeǧǧig n ugudu" ou "les fleurs au pied du bousier" traite justement de tout ce qui a été dit dans les réponses précédentes. En quelques mots, le roman traite du montagnard Kabyle, qui, né dans un espace qui souffre sur tous les plans (économique, culturel, politique...) finira par devenir une lumière qui éclairera ceux qui disposent des commodités. Les cas sont nombreux. Qui aurait pensé un jour que des villages coupés du reste du monde jaillissaient des monuments tels les " Faḍma n Soumeur, Imache Amar, Krim Belkacem, Mouloud Mammeri..." pour ne citer que ceux là.
Et bien sûr, il y'a comme dans chaque roman, une d'amour qui enveloppe l'histoire narrée qui s'etend sur les dimensions historique, politique, culturelle et sociale dans le cas de "Ağeǧǧig n ugudu". Pour terminer, j'ai fait en sorte que le lecteur s'y reconnaisse dedans comme s'il s'agissait de son histoire propre.
Amaz-ling: Où peuvent-is l'acheter?
Ali Belhot: Le roman est disponible dans toutes les librairies des chefs lieux de wilaya à savoir Tizi Ouzou, Bejaia, Bouira et Alger.
Amaz-ling: Avez-vous d’autres passions? Si oui, lesquelles?
Ali Belhot: Mais bien sûr que j'ai d'autres passions en dehors de la chanson et de l'écriture. Je suis un amoureux de la nature, du travail de la terre, des oliviers, greffage, plantation... Avec des athlètes de mon club, le sport est également mon autre passion pour laquelle je me consacre 4 fois par semaine avec un horaire de 2h pour chaque séance dans le cadre de nos préparations pour d'éventuels marathons ou semi-marathons.
Amaz-ling: Comment évaluez-vous les acquis des luttes menées depuis le printemps amazigh d'avril 1980 à nos jours?
Ali Belhot: Ce n'est pas un vain mot pour pouvoir faire un bilan des acquis depuis le printemps 1980. A mon sens, une halte s'impose, réunir tous les acteurs, organiser des séminaires, des journées d'études, des ateliers de travail...un travail titanesque pour une évaluation exhaustive. Mais sinon, les choses semblent avancer mais beaucoup reste à faire. Il ne faut pas se leurrer, le pouvoir établi refuse toujours d'assumer ses responsabilités politiques, allant jusqu'à renier et/ou contrecarrer ce qu'il a lui même signé la veille. Sa nature machiavélique est omniprésente, ce n'est pas demain la veille.
Amaz-ling: Ya-t-il de bons et de mauvais côtés du métier de chanteur? Dites-nous-en plus.
Ali Belhot: Dire ''métier" de chanteur c'est un peu exagéré (rires). Dans notre société on n'a pas encore d'outils de formation, ni d'écoles pour pouvoir parler de métier. Il s'agit beaucoup plus de passion dans un premier temps qui par la suite, chacun à sa manière et selon ses moyens essaie tant bien que mal de se frayer un chemin dans le domaine artistique. Parler de bons ou de mauvais côtés, la question n'est pas à ce niveau, l'important est dans l'apport que peut apporter le chanteur pour sa cause et sa société au niveau national et international. Mais sinon, l'appréciation ou la non appréciation relève du public.
Amaz-ling: Est-ce que les jeunes amazighs, notamment kabyles, sont réceptifs à vos messages?
Ali Belhot: Là encore, le handicap que présente la non médiatisation de la chanson kabyle au profit d'une catégorie sélective qui n'a d'art que la réponse aux chants des sirènes, au sens large, on ne peut prendre la température de la réception des messages véhiculés dans nos chansons. Exception pour certains noms connus sur la scène artistique dont la popularité n'est plus à démontrer, le reste pour ne pas dire tout le reste relève du parcours du combattant.
Amaz-ling: Pour la célébration du jour de l'an amazigh, vous avez gratifié les amazighs d'un trés beau cadeau - un chef d'œuvre - en l'occurrence votre chanson "yennayer" faite dans les différentes variantes linguistiques. Comment a réagi le public?
Ali Belhot: Effectivement, à l'occasion de yennayer 2979, j'ai offert à tous les peuples Berbères comme cadeau de fin d'année, une chanson intitulée "Yennayer ameggaz" chantée en 6 langues à savoir ( kabyle, chaoui, amahaq, mzab, chenoui et chleuh) qui se résume par un souhait de meilleurs voeux et la réaffirmation de chaque peuple en tant que tel et qui constitue ce qu'on appelle communément Tamazɣa. Le single a retenti au-delà de la Kabylie, j'ai eu personnellement des appels et des messages de remerciements d'Europe, du Canada, des U.S.A, de nos frères chleuhs du Maroc. On peut dire avec fierté que le public a réagi positivement, et ça fait chaud au cœur. Mes vifs remerciements à tous et à toutes qui ont apprécié, partagé…
Amaz-ling: Avez-vous des projets en préparation?
Ali Belhot: Oui, là aussi je saisis cette occasion pour rendre public cette surprise. En fait, la dite chanson "yennayer ameggaz" est à retravailler encore avec d'autres langues berbères, à savoir (le Siwi en Egypte, le Zwaṛa en libye, le parler de Djerba en Tunisie et enfin la langue parlée aux îles canaries. La 1ère version a environ 9 minutes, c'est à multiplier par deux dans la prochaine version. Rendez-vous alors yennayer 2980.
Amaz-ling: La langue amazighe et le Kabyle, que représente chacune d'elles pour vous?
Ali Belhot: Même si Tamazight n' est pas à comparer avec les langues anciennes, car même à travers l'oralité, le Tamazight n'a pas disparu, contrairement au latin qui avec tous les moyens pour sa prise en charge effective, il n'est plus parlé. Quand au kabyle, il est une langue à part entière et est le moteur de tous les temps vu que tous les acteurs dans le domaine de la recherche scientifique, littéraire, anthropologique...du combat pour l'identité ont été l'œuvre de kabyles en majorité.
Amaz-ling: Quel est le chanteur kabyle qui vous inspire le plus (côté thématique)?
Ali Belhot: Le chanteur qui m'inspire le plus est connu de tous, il porte le nom de "rebelle", l'incontestable Matoub Lounes.
Amaz-ling: Quelle est votre appréciation sur la multitude de jeunes écrivains d'expression kabyle?
Ali Belhot: La production littéraire kabyle est en plein essor, il ya de plus en plus de romans, de nouvelles, de recueils de poésie, de livres pour enfants (BD, d'écriture, de contes...). Même s'il n'ya pas de subvention ni d'encouragements de la part de l'état, les auteurs ne lésinent pas sur les moyens, au prix de leur double sacrifice qu'ils font valoir leurs capacités, leurs compétences, leurs génie en excellant dans ce domaine malgré toutes les embûches et les entraves de l'édition, de la distribution et de la commercialisation. Il est attendu des gens de la critique pour mettre en place des mécanismes afin d'apporter leurs pierres dans la construction de cet édifice pour distinguer la qualité de la quantité.
Amaz-ling: Aprés "tutlayt-inu", amaz-ling est notre autre blog amazigh fraichement créé, qu'en dites-vous?
Ali Belhot: Tout d'abord merci pour l'intérêt que vous m'avez accordé en m'interviewant. Longue vie a Tutlayt-inu et à Amaz-ling, mes plus vifs souhaits pour un avenir riche avec de nombreux visiteurs, abonnés, intervenants...et ou beaucoup de nos artistes écrivains, militants trouveront place dans cet espace d'expression libre.
Propos recueillis par S.Bendali
Commentaires
Enregistrer un commentaire